Une internaute a eu l'amabilité de nous proposer la publication de cette contribution :

 

I – LA NAISSANCE DU PORTAGE 

La situation des travailleurs indépendants en France

L'expression "portage salarial®" étant protégée, nous n'utiliserons, tout au long de cette étude, que le terme "portage".

Nous appelons l’attention du lecteur sur le fait que :

En France, il convient de distinguer les salariés des non-salariés, lesquels regroupent 3 catégories : les "employeurs", les aides familiaux et les "indépendants" (ceux qui travaillent sans salarié) [1]

Diverses études sur les travailleurs indépendants mettent en évidence qu'en France :

 

En France, toute personne physique souhaitant accomplir une prestation de service doit, au préalable, s’immatriculer auprès de l’URSSAF en tant que travailleur indépendant.

Or, un travailleur indépendant a, dès la première année, une assiette forfaitaire à titre provisoire importante à acquitter, soit 38.642 Francs [8], cela sans être assuré de réussir dans son projet. De surcroît, en devenant travailleur indépendant, il perd son niveau de couverture sociale globale et le droit à percevoir des indemnités chômage s’il est inscrit à l’ASSEDIC.

Mais qu’en est-il de ceux qui veulent exercer une prestation de service (hors activités réglementées) à titre occasionnel ou non ?

En théorie et malgré l’importance des charges sociales, ils ne peuvent que s’immatriculer en qualité de travailleur indépendant.

En effet, il n’existe pas de dispositif légal permettant à une personne de répondre à une offre ponctuelle de travail en qualité d’indépendant ou de tester ses capacités à entreprendre sans créer une véritable entreprise.

En l’état de ce vide juridique, on assiste, depuis quelques années, à l’apparition de diverses formes atypiques de travail indépendant et au développement des missions.

Trois facteurs concordants expliquent cela :

Elles ont besoin de compétences spécifiques et ponctuelles. (47 % des entreprises qui pratiquent déjà l’externalisation envisagent de sous-traiter de nouvelles fonctions dans les deux prochaines années. L’administration et la finance seront les plus concernées (59 % ) devant l’informatique et les télécoms (53 %))[9].

Comme le constate le sociologue Jean-Pierre LE GOFF, on assiste, en France, à "une mutation profonde des mentalités affectant tout particulièrement le rapport au monde du travail". De fait, les salariés répondent à la généralisation des licenciements par la perte de confiance à l'égard de l'entreprise, la montée de l'individualisme et le désir d'entreprendre.

Le développement des missions ponctuelles et la naissance du portage

Ces missions ponctuelles, que ce soit en intérim ou en indépendant, ont entamé leur développement chez les professionnels qualifiés dans les années 1990, au plus fort de la crise. Les cadres y voyaient le moyen de rester en contact avec le monde du travail, voire de retrouver un CDI.

Ainsi, apparaissait "l’ingénierie de ressources humaines" pour permettre à un indépendant de travailler sans être obligé de s’immatriculer en tant que tel.

Une brèche était désormais ouverte entre le statut de salarié à durée indéterminée et celui de travailleur indépendant.

Cette notion était développée simultanément par des cadres de grands groupes "remerciés" au  plus fort de la crise et âgés d’environ 50 ans (cf. Liliane Henon et Michel Roy fondateurs des sociétés de portage Alternative et Aclys et Jacqueline Bastide et Alain Rochas, fondateurs de la société L’Abécédaire).

C’est en 1985, à l’occasion d’une réunion de travail entre cadres de l’association d’entraide pour cadres au chômage "AVARAP", que "l’ingénierie de ressources humaines" se dénommera "portage salarial®". Jean-Loup GUIBERT qui dirigeait à l ‘époque l’AVARAP, explique que ce nom est apparu pour "expliquer qu’il fallait établir une nouvelle relation pour porter le problème du salarié".

Cette même année, la première association de portage verra donc le jour sous le nom de VALOR qui, dès 1986, sera transformée en SARL.

Initialement dénommées sociétés "d’hébergement" ou de "refacturation", elles se dénommeront ensuite "sociétés de portage salarial®".

Quoi qu’il en soit, le principe du portage est le suivant : un indépendant non immatriculé au régime des travailleurs indépendants ou en tant que société, trouve une mission de conseil à accomplir dont il va négocier seul le prix avec l’entreprise cliente. Comme légalement il ne pourra pas l’effectuer, il s’adresse à une société de portage. Cette dernière va signer le contrat commercial avec l’entreprise cliente ainsi qu’un contrat de travail avec le consultant, facturer la prestation au client et reverser les honoraires au consultant sous forme de salaires, après avoir déduit les charges sociales, patronales et salariales correspondantes et le montant de sa commission.

Le portage, c'est tout d'abord l'action de "porter" ou de "transporter" : en d'autres termes, cela signifie qu'une personne en porte une autre pour lui permettre d'agir. La société de portage permet à un individu d'exercer son activité dans une entreprise en qualité de salarié.

Le droit se retrouve ainsi singulièrement bousculé par l’apparition de ces professionnels autonomes qui se situent au confluent de deux droits :

Depuis la création de cette notion, le portage est en progression constante tant en raison d’une conjoncture économique qui le favorise qu’en raison de la multiplicité des secteurs susceptibles d’être "portés". En effet, les missions confiées à des salariés portés concernent, par définition, des activités externalisables de l’entreprise. De plus en plus de TPE-PME souhaitent disposer de collaborateurs pointus le temps d’une mission mais la plupart n’en ont pas les moyens financiers.

Sont notamment concernés les domaines suivants : la stratégie et l'organisation/ les ressources humaines et la formation/ la finance/ le marketing-vente/ la communication/ l’informatique et les télécommunications/ le multimédia/ la logistique etc.

Leur durée est variable :

On peut classer ces missions en 3 grandes catégories :

Ce développement est également favorisé par des organismes comme l’APEC, les Chambres de Commerce et d’Industrie et les cabinets d’outplacement qui encouragent les indépendants à choisir cette solution alternative en expliquant qu’au démarrage d’une activité indépendante un seul client ne suffit pas.

De confidentiel qu’il était voilà encore quelques années (il s'agissait seulement d'une technique de reclassement des cadres), le concept s’installe notamment dans le paysage économique et social français.

n Tableau: Croissance du portage depuis 1996

NB : NC signifie non communiqué

ANNÉES CONSIDÉRÉES

1998

1999

2000.

2001

Nombre total de portés
3.500
3.500[11]

De 7.000

à 10.000 [12]

Environ 18.000 [13]

Dont des cadres

NC

NC

5 000[14]

NC

Sociétés ayant recouru aux services du portage

NC

5.000 [15]

7.000 [16]

10.000 [17]

Nombre total de Sociétés de portage (significatives en terme de portage, c'est à dire réalisant plus d'1 MF de CA )

NC

NC

29 [18]

20[19]

Sociétés adhérant au SEPS *

NC

6

9

10

CA généré par l’activité de portage

Entre 120 et 150 Millions de Francs [20]

300 Millions de Francs [21]

500 Millions de Francs [22]

entre 700 et 800 Millions de Francs [23]

* SEPS = Syndicat des Entreprises de Portage salarial

 

II – L'ANALYSE DES RAPPORTS CONTRACTUELS ET JURIDIQUES EXISTANT ENTRE LES PARTIES

A/ ENTRE L’ENTREPRISE CLIENTE ET LA SOCIÉTÉ DE PORTAGE : LE CONTRAT DE PRESTATION

L’entreprise cliente va signer un contrat commercial avec la société de portage, comme avec une société de "conseil" classique.

*  Cette obligation de "fonder le lien contractuel de la mission sur un document écrit (contrat, lettre de proposition ou devis accepté ou bon de commande)" incombe aux adhérents du SEPS (cf. annexe III "Charte de Déontologie" - Article 3, § 1, 1er alinéa).

ce document décrit la mission, sa durée et fixe le montant de la prestation ainsi que l’échéancier de facturation du client. Juridiquement, le seul et unique interlocuteur de l'entreprise cliente est la société de portage. C’est le contrat de prestation qui établit que la société de portage prend la responsabilité de la mission. En cas de litige, l’entreprise cliente devra se retourner contre celle-ci.

A cet égard, il est indispensable de vérifier que la société de portage est assurée en responsabilité civile professionnelle afin de pouvoir répondre des fautes de ses salariés dans le cadre de leurs missions. Mais également qu’elle dispose bien d’un numéro de formateur agrée si la prestation porte sur de la formation.

*  Il s'agit de l'obligation par laquelle les adhérents du SEPS "s'engagent à être couvertes , comme toute société de conseil, par une assurance des risques de leur responsabilité civile et professionnelle en obligation de moyen (et non de résultat) et à fournir les attestations correspondantes à première demande" (cf. "Charte de Déontologie" - Article 3, § 1, 4ème alinéa).

Il peut également arriver que le contrat de prestation soit tripartite , c’est à dire signé entre l’entreprise cliente, la société de portage et le porté.

B/ ENTRE LE SALARIE PORTÉ ET LA SOCIÉTÉ DE PORTAGE :

a)      La convention d’adhésion

Dès que le candidat au portage a fait le choix d’une structure, il signe une convention d’adhésion qui fixera les règles de fonctionnement du portage entre les deux parties.

*  La signature "d'un cadre de référence conventionnel arrêtant les obligations de chacune des parties préalablement à l'établissement effectif des contrats commerciaux et de travail et les conditions régissant leurs relations" est une obligation pour les adhérents du SEPS(cf. "Charte de Déontologie" - Article 2, § 1, 1er alinéa).

Toutefois , il peut arriver que la convention d’adhésion soit signée entre les trois partenaires afin de prévoir les modalités de refacturation des honoraires ainsi que les prestations annexes proposées par la société de portage.

b)      Le contrat de travail

comme n'importe quel salarié classique, le porté signe un contrat de travail avec la société de portage, au moins 24 heures avant le début de l’intervention afin de permettre à la société de portage de procéder aux formalités obligatoires (notamment la Déclaration Unique d’Embauche).

*  Cette obligation de procéder, auprès de l'URSSAF, à la D.E.U figure parmi celles acceptées par les adhérents du SEPS (cf. "Charte de Déontologie" - Article 4, § 1, 2ème alinéa).

*  Les adhérents du SEPS se sont obligés à la signature "d'un contrat de travail débutant, au plus tard le premier jour de la mission …" (cf. "Charte de Déontologie" - Article 2, § 1, 3ème alinéa) .

Le contrat de travail peut être à durée déterminée ou indéterminée, à temps plein ou à temps partiel.

En général, c'est un CDD. Entre deux missions, le salarié porté retrouve son droit à percevoir ses allocations chômage via les ASSEDIC. Mais pour les portés qui souhaitent à terme créer leur entreprise, il est plus intéressant de conclure un CDI qui, le moment venu, sera plus facile à rompre qu’un CDD.

Les sociétés de portage qui ne rémunèrent les consultants qu'à compter du règlement de la première facture de prestation, adoptent la formule du contrat de travail à durée indéterminée en alternance (feu le contrat à temps partiel annualisé).

 

III – LE PORTÉ NE PEUT ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME UN SALARIÉ EN L'ÉTAT DE LA CONCEPTION CLASSIQUE DU CONTRAT DE TRAVAIL

A/ LA CONCEPTION CLASSIQUE DU CONTRAT DE TRAVAIL

Liminairement, il convient de retenir que le statut du salarié étant d'ordre public, le juge n'est pas tenu par la qualification donnée par les parties au contrat ou à celle donnée par les parties à la rémunération (honoraires, salaires) et des déclarations fiscales ou sociales effectuée.

a)      Les critères généraux du contrat de travail

En l'absence de définition légale, la Jurisprudence considère qu'il y a contrat de travail quand une personne s'engage pour le compte et sous la direction d'une autre moyennant rémunération.

Cette définition fait apparaître trois éléments : la prestation de travail, la rémunération et la subordination juridique.

S'agissant de la prestation de travail : elle peut avoir pour objet les tâches les plus diverses (travaux manuels, intellectuels, artistiques) effectuées dans tous les secteurs professionnels (artisanat, industriel, agricole).

Cette première condition n'est pas spécifique au contrat de travail.

Aussi, la jurisprudence vérifie t'elle qu'elle est remplie en mettant l'accent sur les conséquences de l'exercice de l'activité :

-          si la personne supporte les risques et la charge de son activité :

la qualité de salarié sera refusée et celle de travailleur indépendant retenue ;

-          si la personne exerce son activité au profit du cocontractant qui en assume par ailleurs les risques :

leur convention est susceptible d'être qualifiée de contrat de travail.

S'agissant de la rémunération : contrepartie de la prestation de travail, quelle que soit sa forme, elle constitue une condition nécessaire mais non suffisante pour caractériser le contrat de travail. En revanche, elle est indispensable pour justifier l'affiliation au régime général de la Sécurité Sociale.

S'agissant de la subordination juridique : ce critère est l'élément déterminant du contrat de travail. La jurisprudence en donne une définition commune à la Sécurité Sociale et au droit du travail : "Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné" (Arrêt Société Générale Cass.soc. 13-11-1996 n°4515 : RJS 12/96 n°1320; 23-4-1997 n°1688 / RJS 6/97 n°645).

Cela implique l'idée d'un pouvoir de direction et de contrôle exercé par le commanditaire de la prestation de travail (employeur) sur le travailleur dans l'exécution de sa prestation.

Afin de conclure à l'existence d'un lien de subordination, les juges relèvent les éléments qui, pris isolément, ne suffisent pas à caractériser le lien de subordination mais sont autant d'indices dont la réunion induira le caractère salarial de l'activité (méthode du faisceau d'indices) :

-          l'intégration dans un service organisé lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail : lieu et horaires de travail, fourniture du matériel, de matières premières. Quelle que soit l'indépendance technique dont peut bénéficier la personne ou son niveau de responsabilité, il convient de rechercher dans quel cadre elle est tenue d'exécuter sa prestation.

Il ne s'agit là toutefois que d'un indice du lien de subordination.

-          la direction ou le contrôle effectif du travail : c'est le pouvoir de commandement de l'employeur (ordres, directives) le salarié devant rendre des comptes et pouvant être sanctionné pour manquement à ses obligations. Il sera apprécié par les juges de façon plus ou moins appuyée selon la nature de la profession exercée par l'intéressé.

Il s'agit là de l'élément décisif du lien de subordination.

Ces critères, qui ne manquent pas de cohérence, représentent une réelle source de sécurité juridique.

b)      Les présomptions légales

- de salariat : le critère de dépendance économique a toutefois inspiré les extensions légales du statut de salarié qui a ainsi été accordé à certaines catégories de professions dont l'exercice est à priori incompatible avec l'existence d'un lien de subordination : travailleurs à domicile (si les fournitures ou le matériel utilisés appartiennent au donneur d'ordre), journalistes, V.R.P., artistes du spectacle, gérants de fonds de commerce et de succursales, conjoint salarié.

- de non-appartenance au régime général de la Sécurité Sociale : elle est établie par l'immatriculationà certains registres de travailleurs non salariés (Registre du Commerce, Registre des Agents Commerciaux, Répertoire des Métiers, URSSAF).

* A noter que la définition de l'activité non salariée n'est pas donnée par les textes mais résulte à contrario de la définition de l'activité salariée.

B/ LE PORTÉ NE PEUT ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME UN SALARIÉ

a)      Au regard des critères généraux du contrat de travail

Dans le cadre du portage, ne font pas difficulté l'existence de deux des trois éléments caractérisant le contrat de travail : la prestation de travail et la rémunération.

Par contre fait défaut la subordination juridique qui est le critère déterminant du contrat de travail.

Or, si, par la méthode du faisceau d'indices, nous recherchons le lien de subordination à partir des conditions réelles d'exercice de cette activité litigieuse, nous nous apercevons que :

- le porté ne subit aucun pouvoir de direction ou de contrôle effectif de son travail par la société de portage : même si théoriquement il peut être soumis au pouvoir disciplinaire de la société de portage via le règlement intérieur, il exécute sa mission en toute autonomie. Il n'est pas tenu de consulter la société de portage pour les décisions qu'il prend, a le choix de ses clients, de ses missions, en fixe librement le prix, n'établit pas de compte-rendu de mission.

* Rappelons qu'il s'agit là de l'élément décisif du lien de subordination caractérisant le contrat de travail.

- même s'il ne s'agit là que d'un indice du lien de subordination, les indices matériels de l'intégration dans un service organisé ne sont pas réunis : le porté n'exerce pas son activité dans les locaux de la société de portage, fixe librement son emploi du temps sans rendre de compte de son activité, ne sert pas du matériel de la société de portage.

b)      au regard des présomptions légales

Le salarié porté ne figure pas au rang des professions admises comme conférant de facto statut de salarié.

Aussi, à notre sens, le porté ne peut être considéré comme un salarié au sens classique tel qu'admis par la jurisprudence. Il pourrait plutôt bénéficier d'un statut protecteur à créer via la théorie de la parasubordination.



[1] "L'évolution des non salariés entre 1990 et 2000" réalisée par l’Agence Pour la Création d'Entreprises, ci après dénommée APCE

[2] Le Figaro Économie du 11 Décembre 2000

[3] Courrier Cadres du 11 Juin 1999

[4] L’Observatoire des Solos

[5] Étude menée par le Conseil Économique et Social via un sondage exclusif Institut CSA/Ernst & Young  

  réalisé les 26 et 27 Septembre 2000

[6] Étude menée par le CSA à la demande d'une société de portage "L'Institut du temps géré" en Octobre 2000

[7] Étude menée par l’APCE

[8] Chiffres retenus pour l’année 2000

[9] D’après le baromètre Outsourcing 2000 d’ACCENTURE

[10] La Tribune du 27 Novembre 2000 " L’indépendant en panne de statut propre "

[11] Le Figaro Économie du 11 Décembre 2000

[12] selon le rapport du GREP (Groupe de Recherche pour l'Education et la Prospective)

[13] selon le SEPS

[14] Courrier Cadres du 2 Février 2001

[15] Le Figaro Économie du 11 Décembre 2000

[16] selon le SEPS

[17] idem

[18] selon le rapport du GREP

[19] selon l'Association des Freelances en Europe

[20] Le Figaro Économie du 11 Décembre 2000

[21] idem

[22] selon le SEPS

[23] idem